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En septembre nous sommes entrés dans la maison pour la première fois, et à partir de là, notre vie allait se limiter à un seul lieu, où nous pourrions l’élargir à l’infini.

 

Extrait du premier épisode d'Un seul corps

 

 

Les quatre personnages principaux d’Un seul corps sont animés par un désir d’élargir leurs horizons pour se confronter plus profondément à la terre et au ciel. Ce désir les pousse à se confronter à leurs propres limites, comme c'est le cas pour Aaron à la fin du septième épisode. Pour le premier article de cette rubrique, j’aimerais revenir sur ce thème central dans la série. Pour cela, je vous propose un petit détour par la psychologie du développement et les Lego.

 

 

 

Le développement en dialogue *

 

 

Pour se développer, l’enfant mène une forme de dialogue avec le monde extérieur. Il emmagasine les mots, les symboles, les affirmations, les valeurs que lui propose son environnement. Il les associe à ses propres expériences et s’en sert comme des matériaux pour construire sa vision du monde.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lorsqu’il est confronté à un matériau d'un genre nouveau, l’enfant se contente parfois de le stocker passivement, sans le faire entrer en interaction avec son système de pensée. Cet élément isolé ne sert pas à grand-chose.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cela se passe tout autrement si l’enfant fait interagir le nouvel élément avec son système de pensée. Il sera alors amené à transformer son système pour intégrer cet élément. C’est au fil de ces transformations que l’enfant se développe. Il doit sans arrêt déconstruire sa vision du monde pour pouvoir la préciser et l’élargir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* : Cette partie est une interprétation très libre d'un article d'Ingrid Josephs "Die Ko-Konstruktion religiöser Bedeutung aus kulturpsychologischer Perspektive: eine Analyse von Eltern-Kind-Interaktionen" dans l'ouvrage I. Josephs, M. Wolgast, Eingebettet in Menschsein : Beispiel Religion. Aktuelle Psychologische Studien zur Entwicklung von Religiosität, Lengerich, Pabst Science Publishers, 1996.   

 

 

Un chantier perpétuel

 

Dieu merci, ce processus ne s’arrête pas avec l’enfance, il se poursuit durant toute la vie. Nous ne cessons jamais d’être en chantier. Aussi élaboré que peut être notre système de pensée, nous n’avons jamais fini de déconstruire cette structure pour la reconstruire autrement, car elle ne sera jamais assez large pour contenir le monde entier, pour contenir les autres, et encore moins pour contenir Celui qui les a créés. Ils nous échappent toujours, et nous n’avons jamais fini de les redécouvrir. C’est ce qui fait la beauté de la vie et sa difficulté.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce processus se poursuit toute la vie. Seulement, plus les années passent, plus les transformations deviennent difficiles. Nos systèmes de pensée sont de plus en plus imposants et solides. Abattre la cloison d’une cahute en bambou, ce n’est pas le même effort que de faire tomber la façade d’un immeuble en béton armé. Les grands changements ne se font plus en douceur. Il y a souvent de la casse. Les transformations deviennent synonymes de crises, de périodes de flou, et c’est pourquoi les phases les plus fertiles de nos vies sont souvent les plus difficiles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En lisant le livre de l'Exode, je me reconnais facilement dans les réticences du peuple hébreu à quitter l'Egypte. Leur condition d'esclaves est avilissante, mais au moins ils la connaissent. Ils sont dans le pétrin, mais ils savent lequel. Ils rechignent à se laisser guider vers l’inconnu, vers un désert hostile et sans repères dans lequel ils se perdront pendant quarante ans. Pourtant, c'est précisément pendant cette traversée arrassante qu'ils découvriront une nouvelle liberté, de nouvelles règles, et qu'ils deviendront le peuple de Dieu.

Se transformer implique de renoncer pour un temps à sa stabilité, à ses repères. Or, la stabilité, l'adulte en a besoin pour pouvoir assumer ses responsabilités. Pas facile d'aller traverser un désert lorsque notre famille et nos collègues comptent sur nous. Sur le mur devant mon bureau, il y a une carte avec cette phrase que j’aime beaucoup et qui résume bien le problème : « Si seulement j’avais le temps de faire la crise de nerfs que je mérite. » Le compromis entre notre besoin de stabilité et notre soif d’élargir est souvent délicat à trouver. La solution de facilité consiste à fuir ses responsabilités, ou à renoncer à se transformer.

 

 

 

Les remparts

 

Si quelqu'un se sent menacé dans la stabilité de son système de pensée, et qu'il ne peut pas ou ne veut pas se permettre d'être fragile, il évitera par tous les moyens de se confronter à ce qui pourrait le transformer. Il se construira des remparts sans fenêtres dans sa structure de pensée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il collera une étiquette sur tout ce qu'il ne veut pas découvrir. Il percevra ce qui l'entoure de manière sélective : il verra seulement ce qu'il comprend et connaît, et fera comme si la partie immergée de l’ice-berg était le tout. Je me demande par exemple si cette tendance des médias à parler toujours des mêmes thèmes de la même manière ne relève pas inconsciemment de ce genre de stratagème. Je vous invite à faire cette expérience : rendez-vous sur les sites internet de grands journaux français et tapez le mot "islam" ou "musulman" dans la barre de recherche. Une grande majorité des articles qui s'affichent sont consacrés au djihadisme. Si vous tapez "juif" ou "judaïsme", les articles que vous trouverez parleront surtout de l'état d'Israël, de l'antisémitisme et de la Shoah. Si vous tapez "chrétiens", les articles sont un peu plus divers, mais traiteront principalement du pape, de la manif pour tous et de vieux monuments. Ces sujets sont réelement importants, mais pas au point de devoir éclipser tous les autres. Quand je pense à tout ce que l'on pourrait écrire sur ces trois religions, je m'alarme de voir l'uniformité de ces articles, autant dans leur angle d'attaque que dans leur vocabulaire. Si ces journaux s’amusaient à explorer ces traditions religieuses dans toute leur profondeur, ils feraient apparaître leur force d’interpellation au grand jour. Ce serait bien trop déstabilisant, bien trop dangereux pour notre stabilité. Ces médias auraient sans doute bien du mal à être lus dans la France entière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des ponts

 

 

Après une période d’enfermement sur soi-même, il devient nécessaire de s’accorder un temps à part pour sortir des murs que l’on s’est construit. Certains entreprennent un grand voyage loin de leur quotidien, de leurs repères et de leurs obligations. On pensera par exemple aux jeunes israéliens qui se lancent dans un tour du monde à la sortie de leur interminable service militaire. Certaines personnes viennent se retirer quelques temps dans une communauté pour faire le point. Le huitième épisode d’Un seul corps racontera les deux semaines à part que s’accordent les membres de la communauté pour sortir de leurs murs intérieurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après ce temps à part, il devient possible de s’ouvrir et de se reconstruire autrement, avec moins de remparts et plus de ponts. Celui qui construit des ponts n'est plus seul pour assurer la stabilité de sa structure. Si elle chancèle, il est soutenu. Si la structure des autres chancèle, il la soutient. En construisant des ponts, nous pourrons conjuguer nos deux aspirations. Nous pourrons assumer nos responsabilités et élargir notre structure. Prendre notre place dans le monde, et laisser le monde se faire une place en nous.      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et vous ?  

 

C'était quoi, la dernière chose qui vous a déstabilisé, qui a élargi un peu votre structure ? Une remarque, un livre, un voyage, une rencontre ? Allez, racontez-nous ça en deux mots dans les commentaires !

 

 

 

 

Un grand merci à Katharini qui a bien voulu me prêter ses Lego !
 

 


 

 

 

 

 

#1                         Elargir

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